La bonne vitesse pour graver
Avec la démocratisation des graveurs de CD, et la chûte
vertigineuse du prix des "galettes" vierges (moins de 10 FF l'unité, souvent même moins de 7 FF), la gravure de CD-R est devenue l'une des activités parallèles favorites du musicien informatique moderne ('scusez le barbarisme). Possibilité de présenter ses maquettes au format standard hi-fi et audiophile actuel (plus pour longtemps, d'accord, DVD oblige), archivage des données, rapport prix/Mo imbattable... Que d'atouts dans
sa manche !
Mais un handicap majeur : le temps, mes amis, le temps qui coûte si cher de nos jours... Graver un CD-R, c'est tellement plus long qu'une copie de disque dur à disque dur ! Presque aussi préhistorique que le temps de réponse d'une disquette, c'est vous dire !
D'où l'argument commercial majeur des fabriquants de graveurs
(comme de lecteurs, d'ailleurs) : la vitesse. Hier 1x ou 2x, aujourd'hui souvent 4x, demain 6x ou peut-être 8x... Le CD-R rempli à bloc et prêt en moins de 10 minutes est à portée de main.
A titre de comparaison, transférer la même quantité de données d'un bon disque dur à un autre prend environ 1 min à 1 min 30.
Néanmoins, une question fondamentale se pose. Et la qualité de gravure, dans tout ça ? Chûte-t-elle quand on augmente la vitesse, ou au contraire s'améliore-t-elle ? Ce point est d'autant plus crucial que c'est précisément les aléas passés de la qualité de gravure (et de conservation dans le temps) qui ont pénalisé le média CD-R face à d'autres solutions.
Alors Docteur, c'est grave si trop vite je grave ?
Avant tout il faut dire que, comme toujours en médecine, les avis sont partagés, voire contradictoires. Si pour ma part je préfère graver à vitesse basse (on verra plus loin pourquoi, et sous quelles conditions), un certain nombre de voix s'élève pour.
Parmi les arguments avancés en faveur d'une vitesse élevée, on peut citer (en vrac) :
1 - Le phénomène gyroscopique de la rotation du disque à vitesse plus élevée rend le mouvement du CD plus stable (analogie avec une toupie : plus elle tourne vite plus elle est stable).
2 - La puissance du laser est supérieure lorsque l'on grave à vitesse plus rapide donc les empreintes appliquées sur le CD sont plus nettes.
3 - Graver à vitesse rapide permet d'éviter certaines erreurs ou imprécisions du laser... De la même facon qu'il vaut mieux enregistrer à vitesse rapide que lente avec un magnéto à k7/bandes.
En ce qui concerne le point 1, mon opinion personnelle est que celui-ci constitue le seul argument vraiment valable à l'appui de la gravure à haute vitesse (hormis le gain de temps, bien sûr). Toutefois il convient peut-être de mentionner que l'impact de cet effet gyroscopique sera plus sensible sur un graveur dont la mécanique est par ailleurs médiocre, et tend à perdre de son intérêt avec les graveurs de bonne qualité générale. A contrario, si par malchance la galette elle-même n'est pas parfaitement équilibrée, avec un poids également réparti sur toute sa surface, se produira un phénomène de "balourd", bien connu en physique, et qui pourra causer des vibrations de plus en plus intenses si la vitesse augmente. On le voit, rien n'est simple...
Jamais d'étiquette sur les galettes à graver ou à lire, surtout à haute vitesse. Un déséquilibrage, même infime, peut parfois entraîner des vibrations mécaniques qui risquent d'empêcher la gravure, voire d'endommager les éléments mécaniques du graveur
En réponse au point 2, il faut apporter quelques précisions.
La qualité de gravure (celle qui compte, qui fait qu'au bout de plusieurs années ton CD-R sera toujours lisible) tient pour une très large part à la "profondeur de gravure" de chaque bit sur la galette CD-R (en fait on devrait plutôt parler de "brûlure" pour les CD-R puisqu'il s'agit d'un laser qui vient brûler une couche interne du CD-R). La profondeur (le contraste entre un point brûlé et un point qui ne l'est pas) augmente avec la quantité d'énergie reçue par ce point, et elle-même peut être augmentée de 2 façons : augmenter la puissance du laser, ou augmenter le temps passé par le laser en un point donné. Et, bien sûr, si on augmente la vitesse, on diminue le temps passé par le laser en chaque point.
Moralité, le point 2 me semble présenter le problème à l'envers, et donc proposer ce qui est en fait un contre-sens. En effet, pour avoir une netteté identique des empreintes, il faut donc une puissance supérieure de laser à grande vitesse qu'à petite vitesse. IL FAUT ! cela ne veut pas dire qu'on l'a toujours, cette puissance supérieure. Dans les graveurs du commerce destinés théoriquement à graver à grande vitesse, les constructeurs ont tendance à mettre des laser plus puissants, d'accord, mais pas toujours *suffisamment* puissants (coûts obligent). Donc, si on a le choix de la vitesse de gravure sur son graveur, TOUJOURS choisir la vitesse la plus basse : dans cette configuration on est relativement sûr d'avoir "sous le pied" une puissance suffisante.
Enfin, pour ce qui est du 3ème point, je dis Niet en ce qui concerne l'analogie k7/bandes. Niet ! Pour une raison toute simple :
Si l'on dit souvent qu'il vaut mieux enregister en vitesse rapide sur bande, c'est principalement pour des raisons de densité de l'information sur la bande : plus celle-ci défile vite, plus la densité (au cm) est faible, et meilleure la qualité de restitution (transitions de dynamique plus franches), et la qualité de conservation dans le temps (risque moindre de "bavure" ou d'"érosion" des transitions de dynamique). Contrepartie : pour une bande donnée, durée enregistrable moindre à haute vitesse qu'à basse (une k7 de 30 mn ne permet d'enregistrer que 15mn de
musique à double vitesse). Rien de tel dans le monde sans pitié du CD-R : quelle que soit la vitesse de gravure, la densité d'information ne change pas, et ta galette te permettra toujours de graver 74 mn d'audio. C'est donc en quelque sorte le contraire de ce qui se passe avec une bande : quand on double la vitesse,
on demande non seulement au laser une puissance max double (puisqu'il a 2 fois moins de temps à consacrer à chaque point), mais, en plus, d'osciller entre haute et basse puissance (de clignoter, quoi) 2 fois plus vite. Ca fait beaucoup pour la pôv' bête, si elle n'est pas de très bonne qualité. Une analogie ? Moi qui ne suis pas de bonne qualité, si on me demande de monter et de redescendre 10 marches en trente secondes, pendant une demi-heure, sans faute de rythme (= toujours exactement en trente secondes), je vais probablement pouvoir le faire. Maintenant si on me demande d'en monter et d'en redescendre 20 en quinze secondes sans perdre le rythme, même si ce n'est plus que pendant 1/4 d'heure, je prépare tout de suite la section réanimation ;-).
La gravure à haute vitesse impose au laser des variations entre haute et basse intensité plus brusques, et à un rythme plus rapide, qu'à basse vitesse. Même si un laser donné
peut sur le papier développer la puissance nécessaire, seuls les plus fiables peuvent
soutenir ces contraintes accrues à long terme
En résumé :
Comparer la vitesse de gravure (sous l'angle de la qualité) d'un modèle de graveur à un autre, cela n'a probablement guère de sens, puisque ce critère fait intervenir d'autre facteurs que la seule vitesse, et en premier lieu la fiabilité du laser lui-même et des éléments mécaniques. Ainsi, un graveur 4x bien adapté pourra rendre un résultat de bien meilleure qualité qu'un graveur 2x médiocre.
En revanche, pour un modèle donné (au bout du compte on n'en
achète rarement plusieurs...), si le graveur propose plusieurs vitesses, choisir en priorité pour graver à la vitesse la plus basse. C'est la garantie d'une bonne réserve de puissance du laser, et au final d'une meilleure netteté des empreintes.
Dernier argument en faveur des basses vitesses : diminuer la
vitesse de gravure diminue le débit de données nécessaire (un graveur ne doit jamais, JAMAIS, être à court de données à traiter, car le laser ne peut pas être éteint en cours de gravure). Avoir un débit de données plus bas peut éviter certaines erreurs de transfert des données, quand le support de départ est médiocre (par exemple un autre CD, à partir d'un lecteur à faible débit). A cet égard, la taille du buffer (tampon
situé en mémoire vive entre la source et le pilote du laser proprement dit, et hébergé soit par le logiciel de gravure, soit par le graveur) est un point crucial. Un buffer de trop faible taille interdira de toute façon de graver à haute vitesse. Un bon conseil : tester le bon remplissage du buffer avant de graver, si
le logiciel de gravure employé propose une simulation "à blanc".
Ma conclusion : (ouf, enfin ! çà commençait à devenir longuet...)
Vive la basse vitesse ! Tant pis pour les gens pressés...
(En fait, c'est la meilleure excuse qui soit pour faire la pause : ordinateur indisponible jusqu'à la fin de la gravure. Plus c'est long, mieux ça vaut ;-)
Un dernier conseil : si on grave à une vitesse 2x ou 4x, utiliser une source suffisamment rapide (disque dur), et s'assurer que l'on utilise les CD-R certifiés compatibles avec ces vitesses.
Merci à Gilles Blais, Pipine, Michaël Korchia, Christophe
Chenevard, Olivier Carpentier, tous les autres, et toute la mailing-list Cubase en général pour les débats contradictoires que nous avons eus sur ces points et qui sont à la source de cet article.
Arnaud LE BOULANGER, le 10-10-1998
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